La corne de bélier….méfions nous en!

Dehors, la température avoisine les 30°c, l’air est sec. C’est le moment de partir en visite. J’ouvre le coffre pour y déposer la mallette et ressens une violente bouffée de chaleur émanant du ventre de l’auto.

Avant d’avoir la grise, j’avais la bleue. Dans la bleue, cela signifiait « t’es bon pour un marathon des dunes, j’espère que t’as pris tes précautions ». Maintenant, j’appuie sur un bouton et l’air conditionné se lance. Plus d’appréhension.

Je mets la radio et jettes un dernier coup d’oeil aux morceaux de papier. Très gentiment, la secrétaire me les préparent avant mes départs. Y figurent le nom du (de la) patient(e) ainsi que son adresse et son numéro de téléphone. Parfois, j’ai même un croquis avec explications orales. Au début, quand j’ai démarré dans ce cabinet, les secrétaires s’étonnaient: « Mais, tu n’as pas de GPS…? ». J’en ai pas, et puis, j’en veux pas. Pas contre le progrès mais contre l’isolement. Le GPS, contrairement aux apparences, isole. C’est un Guide Pratique pour être Seul. J’apprécie de demander mon chemin, de frapper aux portes. Il y a des sourires à prendre et de la volonté à revendre. La plupart des gens s’enthousiasme à guider, à échanger, à regarder. Du lien, il en faut, de la considération, il en faut, du contact, il n’y en a jamais assez.

Bref, me voilà en route, parti en tournée entouré de champs de tournesol. Du jaune, du jaune, rien que du jaune et le soleil, jaune aussi. J’écoute une émission sur les ondes hertziennes. Invités pour parler des soins palliatifs, deux professeurs universitaires parisiens (Je vous rappelle que c’est LA capitale) et pour représenter le secteur ambulatoire…une chaise vide. Certes, de nos jours, on décède plus souvent à l’hôpital. Mais, quand vient le moment d’aborder la fin de vie à domicile, le souhait des patients de mourir chez eux, le temps de parole étant compté, chacun d’eux y va de son avis sur la question. A aucun moment, journalistes et interviewés ne doutent de leur légitimité. Et moi qui me répète, le terrain, rien ne remplace le vécu du terrain. Beaucoup de « vérités » hospitalières se heurtent à la porte du patient et succombent immédiatement. Le palier faisant office de reposoir.

J’arrive au numéro 22 de la rue principale du village, le crucifix faisant foi. Je fais davantage confiance aux crucifix qu’aux numéros. Probable réminiscences judéo-chrétiennes. Mme C, 75 ans, me voyant arrivé, vient en boitant m’ouvrir le portail. Nous entamons alors, les échanges coutumiers.

— Bonjour Docteur. Vous n’avez pas eu de mal à trouver? me demande t-elle avec le sourire.

— Le crucifix m’a bien aidé, que je lui réponds sur le ton de l’humour. Il figure sur le croquis que je lui montre au même moment. Elle sourit à nouveau.

Elle passe devant pour m’indiquer le chemin: « c’est par là Docteur ». Tout en avançant, elle me met en garde contre la succession de marches inégales sur le palier. Elle même, adopte une démarche précautionneuse, toute timide en approchant du pas de la porte.

— Vous parlez d’un travail… que je lui dis à faible voix en regardant mes pieds sur ces marches.

— Oui, c’est vrai, mon mari n’avait pas le compas dans l’oeil au moment de faire ces travaux, me dit-elle de manière aussi spontanée que surprenante. C’était un fin bricoleur pour le petit oeuvre, mais pour ce qui est du gros oeuvre…. rajoute t-elle avec une moue interrogative.

Corrigeant mon intérieur: « Ouais, bah, peut être que parfois, il serait bon que tu réfléchisses avant de l’ouvrir! » Par chance, elle reprend la conversation concernant le motif de ma venue.

— Oh vous savez… c’est pas grand chose, j’ai hésité à vous faire déplacer. Seulement, je n’ai pas de voiture et mon ami est parti pour la semaine, me précise t-elle, un peu gênée dans le couloir.

— Ne vous en faites pas, y’a pas de soucis que je lui dis pour la débarrasser de son embarras.

Elle m’ouvre alors la porte du salon et m’invite à entrer. Il y a une table, à droite, sur laquelle j’installe mes affaires après avoir obtenu son aval. Ce lieu n’est pas sans rappeler  l’intérieur de la maison de ma grand mère. Tout y est bien rangé. Je vois un vase et me souviens des consignes que l’on recevait mes frères et moi avant de franchir la porte du Musée-salon « vous ne touchez pas aux vases, vous faites attention aux meubles, vous ne sautez pas sur le canapé etc… Vous êtes sages!… » Il y avait tellement de tiroirs à ouvrir, de cabanes potentiels, de placards fermés. Peut être un trésor.

Nous voilà désormais face à face à la table des décisions. « Alors, que vous arrive t-il madame C? que je lui demande pour m’orienter ». Elle revient sur le coup de corne de bélier qu’elle a reçu il y a trois semaines à la fesse gauche. Elle me dit ressentir depuis, des douleurs à cette fesse lors de certaines attitudes. Pas d’éléments de la lignée neuropathique. Que des douleurs classiques appelées « nociceptives ». Ça ne la réveille pas la nuit. Ce qui la gêne le plus,c’est de ne pas pouvoir faire de vélo. Indiscret que je suis, je la questionne sur ces béliers: « Mais… vous élevez des béliers…? » Elle me répond que, le voisin étant parti en vacance, elle se charge de les nourrir. Je comprends alors mieux, la relation de cause à effet. L’examen que je réalise ne retrouve qu’une douleur localisée à la tubérosité ischiatique gauche. Pas d’ecchymose, encore moins d’hématome.

Pas convaincu par le tableau clinique, je prescris tout de même les antalgiques et anti-inflammatoires sous couvert de protecteurs gastriques. Je lui dis de nous tenir au courant de l’évolution. Revenu dans le couloir et prêt à partir, notre conversation prend un virage violent quand elle me dit: « vous savez, je prends plus rien pour le cancer du sein… »

Je vois cette dame pour la première fois. Habituellement, je demande toujours les antécédents. « Mais là, son histoire de coup, reçu trois semaines plus tôt à l’endroit où elle a mal… son sourire… son attitude… tout m’a piégé, me dis-je. »

Même si la sémiologie douloureuse n’oriente pas vers une origine inflammatoire, vu l’antécédent, je me rassoies et prescris des examens d’imagerie associant radio et écho. Je lui explique, et elle comprend avant même mon début d’explication le pourquoi de cette prescription. On échange alors des regards complices comme deux amis qui préparent quelque chose en cachette.

Les résultats reviennent normaux la semaine suivante. C’est elle qui m’appelle pour me les communiquer. Elle est souriante au téléphone. Les traitements la soulagent. N’empêche, je reste vigilant tout comme elle…

Elle a le sourire généreux et bon de ceux qui savent que le temps qui reste jusqu’à la mort, c’est du plus.

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